Entretien paru dans le n°327 de juillet-août de La Nef.

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C’est l’appel de Dieu qui importe

L’abbé Andrzej Komorowski, originaire de Pologne, a été élu en juillet 2018 supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP). Il nous parle ici de sa Fraternité et de son avenir.

La Nef – Vous êtes Polonais, pays où le mouvement traditionaliste ne s’est pas autant développé qu’en France ou aux États-Unis : comment avez-vous connu et été attiré par la Fraternité Saint-Pierre ?
Abbé Andrzej Komorowski
– Mon tout premier contact avec la messe traditionnelle a eu lieu en 1996. J’étais alors étudiant à Poznan et certains de mes amis fréquentaient la messe traditionnelle. Un peu par curiosité j’y suis allé une première fois, puis j’ai commencé à y assister régulièrement, à servir la messe et à m’intéresser à la question de la réforme liturgique et au mouvement traditionaliste. C’est ensuite par un diacre polonais du séminaire à Wigratzbad que j’ai connu la Fraternité Saint-Pierre.

Quelle est la situation liturgique en Pologne ? Et quelle est la position des évêques polonais à l’égard de la FSSP et de la forme extraordinaire du rite romain ?
La situation a bien évolué depuis le Motu proprio Summorum Pontificum de 2007. Auparavant, il y avait quelques endroits où la messe traditionnelle était célébrée, pas toujours régulièrement. Aujourd’hui nous avons environ 45 lieux où la messe est célébrée tous les dimanches. Nous avons 41 diocèses en Pologne ce qui fait qu’en moyenne il y a un peu plus d’une messe traditionnelle par diocèse. C’est un énorme progrès, mais il y a encore beaucoup de fidèles qui n’ont pas la possibilité d’y assister. Je dirais que les évêques polonais sont plutôt indifférents à cette question car ils n’accordent pas à la liturgie une place centrale. Ils voient surtout que le nombre de catholiques attachés à cette messe est bien faible en comparaison de celui des fidèles pratiquant dans la forme ordinaire. En Pologne, il y a beaucoup de prêtres et beaucoup de messes, mais la qualité des célébrations n’est pas « extraordinaire » !

Êtes-vous, comme vos compatriotes, un grand admirateur du saint pape Jean-Paul II ? Quel vous semble être son apport le plus essentiel ?
Tout d’abord je dois dire que mes compatriotes sont attachés à la personne de Jean-Paul II plutôt extérieurement. Il y a beaucoup de places, de rues ou d’écoles qui portent son nom, mais sa pensée n’est pas vraiment connue. Nous sommes fiers de lui, mais malheureusement cela ne va pas beaucoup plus loin, même dans la vie de l’Église. Cependant, je pense qu’il a inspiré beaucoup de vocations sacerdotales. Après la chute du communisme, il nous a rappelé que nous devions rester fidèles à tous les aspects de notre foi catholique dans la vie individuelle et sociale. Enfin, je crois que sa défense de la morale chrétienne, surtout concernant le respect de la vie et le caractère sacré du mariage, est le plus essentiel.

Vous avez été élu supérieur général de la FSSP il y a près de deux ans : quel bilan tirez-vous de ces deux années d’expérience à sa tête ?
Ces deux premières années furent pour moi une occasion de mieux connaître nos apostolats et nos confrères. Avec plus de 300 prêtres dans le monde, il y en a certains que je n’avais jamais rencontrés personnellement. Et le supérieur est avant tout au service de ses confrères. Notre communauté grandit et nous devons en être reconnaissant à la Providence. Mais, plus de membres et plus d’apostolats, cela signifie aussi plus de situations difficiles et délicates. Les trois derniers mois marqués par le Covid-19 nous ont placés également dans des situations inouïes. Nous étions, comme beaucoup de prêtres diocésains, devant un choix difficile : ne pas abandonner les brebis et obéir aux ordres de l’autorité. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous apportera, mais je crois que si nous sommes fidèles à notre vocation et à nos Constitutions, nous pourrons gérer toutes sortes de crises.

Comment caractériseriez-vous ce qu’est la FSSP, sa spécificité ? Autrement dit, quelles sont les principales motivations qui poussent un jeune aujourd’hui à frapper à votre porte plutôt qu’ailleurs ?
Comme le disent nos Constitutions, « le Sacrifice de la Messe est au cœur de la spiritualité et de l’apostolat de la Fraternité ». Ainsi, nous recherchons la sanctification des prêtres, par la conformation de toute leur vie au mystère célébré à l’autel, le sacrifice rédempteur, et par la vie commune, qui permet de tendre à la perfection de la charité. Nous prenons appui sur trois piliers : l’observance fidèle des traditions liturgiques et spirituelles latines, une saine formation thomiste, et la fidélité au successeur de Pierre et au Magistère de l’Église. Nous n’accueillons pas de vocations d’un profil type ; mais il est sûr que les familles ferventes, le scoutisme, les écoles catholiques, sont le terreau de beaucoup de ces vocations. Des convertis se tournent aussi vers notre Fraternité. Par exemple, un des prêtres formateurs du séminaire Saint-Pierre fut baptisé adulte alors qu’il poursuivait un doctorat de philosophie à la Sorbonne : la découverte de saint Thomas d’Aquin l’a conduit au Christ.

Quelle est la situation actuelle de la FSSP, notamment en France, vous développez-vous comme vous le souhaitez ou rencontrez-vous encore des obstacles ?
La progression est constante et régulière dans le monde : cet été, nous aurons la joie de compter quatorze nouveaux prêtres et, à la rentrée, nous ouvrirons plusieurs apostolats. Cette progression se vérifie aussi en France, où les demandes sont même supérieures aux capacités de la FSSP. Le Motu Proprio de 2007 a été décisif : les demandes des fidèles n’ont pas cessé de croître depuis ce moment. Certes, la non-célébration par nos prêtres de la forme ordinaire pourrait être considérée comme un obstacle à notre développement. Il y a effectivement de moins en moins de prêtres dans les diocèses et certains évêques regrettent que nous ne célébrions pas selon le missel de Paul VI. Mais nous sommes convaincus de la dimension missionnaire de la liturgie traditionnelle, laquelle n’est pas réservée à ceux qui la connaissent déjà mais peut attirer à Jésus-Christ les âmes les plus éloignées. Si nous célébrions la forme ordinaire pour « toucher plus de monde » cela signifierait, en creux, que nous reconnaissons que la forme extraordinaire n’est pas adaptée pour l’évangélisation d’aujourd’hui et doit rester réservée aux « initiés ». Il est vrai que c’est souvent un point d’incompréhension. Néanmoins, en France, une quarantaine d’évê­ques nous ont confié une mission dans leur diocèse. C’est également un évêque français, Mgr Renauld de Dinechin, qui ordonnera à la fin de ce mois de juin dans sa cathédrale de Laon, trois nouveaux prêtres pour la Fraternité.

Vous dites que le refus de la concélébration peut être un obstacle à votre développement : en quoi le fait de concélébrer avec l’Ordinaire remettrait-il en cause le fait que l’Église reconnaît la légitimité de votre attachement à la forme extraordinaire ?
Cette question de la concélébration se pose différemment selon les pays. En France cela a pris une très grande importance, au point d’éclipser les autres signes de communion, au premier rang desquels se place la communion eucharistique elle-même. Il est vrai que les prêtres de la FSSP ne concélèbrent pas car ils ont fait le choix de la forme extraordinaire. Le fait d’avoir un caractère propre, reconnu par l’Église, dont le cœur est l’observance fidèle des traditions liturgiques latines, est un talent à cultiver, une condition de fécondité, et non une entrave quelconque. Notre fondation, avec les caractéristiques qui sont les nôtres, a été approuvée par le Saint-Siège en 1988. Nous sommes fidèles à nos actes fondateurs. La concélébration par ailleurs ne revêt aucun caractère obligatoire d’après le Code de Droit canonique, comme cela nous a été rappelé il y a quelques années par la Commission Ecclesia Dei. Elle ne peut pas être une condition en vue d’une mission dans un diocèse. J’observe d’ailleurs que nous ne manquons pas d’apostolats, au contraire ! Enfin, notre choix est certes dû à un attachement à cette forme liturgique mais rappelle aussi les insuffisances de la forme ordinaire. C’est la raison pour laquelle, étant donné que nous n’y sommes pas obligés, nous ne souhaitons pas la célébrer ni la concélébrer.

Aujourd’hui en France, une grande partie des vocations échappe aux circuits diocésains traditionnels pour aller vers les communautés nouvelles ou traditionnelles : comment expliquez-vous ce phénomène, n’est-il pas un danger pour les diocèses manquant de vocations ?
Peut-être cette question devrait surtout faire l’objet d’une réflexion dans les diocèses… Ce qui est certain, c’est que les vocations ne suivent pas des « circuits », et les séminaires ne sont pas des « filières ». Ce qui est premier dans une vocation, c’est l’appel de Dieu. Ce qui compte est d’aller là où Dieu appelle concrètement. Car de même que chaque âme est unique, les vocations ne sont pas interchangeables. Elles doivent être accueillies comme un don de Dieu. Je citerai un exemple historique montrant qu’il ne faut pas tomber dans une fausse dialectique : loin de nuire aux diocèses, le développement des sociétés de vie apostolique après le concile de Trente (Oratoriens, Lazaristes, Eudistes, Sulpiciens…) a puissamment aidé à la revitalisation du clergé diocésain. Les séminaires des communautés traditionnelles, entre autres caractéristiques, offrent une formation thomiste, en philosophie comme en théologie ; saint Thomas d’Aquin a été désigné par l’Église comme le Docteur commun dont l’enseignement très sûr doit être suivi dans les séminaires. La vitalité des séminaires des communautés traditionnelles tient en bonne partie à cette fidélité au thomisme. Nous portons là témoignage d’une richesse qui peut profiter à toute l’Église. Encore une fois, je suis convaincu que la forme extraordinaire est missionnaire par nature : par la richesse de son symbolisme, la densité de ses prières, son sens du sacré et son théocentrisme très marqué. De la même façon qu’elle attire beaucoup de jeunes catholiques, elle attire de jeunes vocations assoiffées d’absolu.

Les prêtres des communautés traditionnelles desservent des lieux de culte que l’on peut qualifier de « privilégiés », en raison du nombre de prêtres par fidèle dont ils bénéficient et aussi parce que ces pratiquants sont très motivés : ce fonctionnement en vase relativement clos (vos prêtres ne desservent que ces chapelles) n’est-il pas dangereux et comment participez-vous de ce fait à l’évangélisation dont notre monde a grand besoin ?
Permettez-moi de vous répondre en reprenant cette expression de Benoît XVI : on ne fera pas refleurir le désert sans « oasis spirituelles » où les âmes pourront venir s’abreuver et se ressourcer. Nos lieux de culte ne sont pas des réserves d’Indiens : ce sont des avant-postes dans un monde déchristianisé en vue d’une reconquête spirituelle. Ils offrent, grâce à Dieu, des moyens spirituels en vue de la sainteté, condition essentielle d’une nouvelle évangélisation. Reconnaissons-le, nos chapelles sont privilégiées par le nombre de prêtres disponibles, c’est un fait. Pour le reste je tempérerais votre propos : il y a certes dans nos églises, comme dans toute paroisse, un noyau de fidèles fervents et « militants », mais il y a aussi de plus en plus de « recommençants » ou de convertis qui ont pu être touchés par la transcendance de la messe traditionnelle, par la personnalité du prêtre qui s’est adressé à eux, ou encore par tel ou tel fidèle de la communauté. D’autre part, le fait de porter la soutane favorise un apostolat habituel dans le monde, dès la moindre sortie dans la rue ! Cela permet à nos prêtres de rester en contact avec la population, de connaître son regard sur l’Église et le sacerdoce et d’exercer ainsi un apostolat auprès de personnes éloignées de Dieu ou de l’Église. Ainsi les prêtres de la FSSP restent en prise avec le réel. C’est l’évangélisation la plus simple et la plus naturelle !
Enfin, pour preuve que nous ne servons pas que les intérêts de quelques fidèles privilégiés, permettez-moi d’évoquer la récente démarche de la Fraternité, en lien avec d’autres communautés traditionnelles amies, auprès du Conseil d’État qui a rendu possible la réouverture de toutes les églises en France : cela montre bien que nous cherchons le bien commun de toute l’Église.

Un dernier mot : quelle est pour vous la priorité pour l’Église aujourd’hui ?
Recentrer tout sur le Christ. Il me semble que, ces dernières années, l’Église est devenue pour beaucoup de plus en plus semblable à une ONG : il y est plus souvent question de sauver la planète ou de trouver des solutions aux problèmes sociaux et économiques, que du salut apporté par le Fils de Dieu. Dieu s’est fait homme pour nous apporter la vie, la vie en abondance. Si l’homme veut retrouver un véritable équilibre dans le monde, il faut qu’il se tourne vers le Seigneur et obéisse avant tout aux lois établies par le Créateur.

Propos recueillis par Christophe Geffroy


À propos Christophe Geffroy
Fondateur et directeur de La Nef, auteur notamment de Faut-il se libérer du libéralisme ? (avec Falk van Gaver, Pierre-Guillaume de Roux, 2015), Rome-Ecône : l’accord impossible ? (Artège, 2013), L’islam, un danger pour l’Europe ? (avec Annie Laurent, La Nef, 2009), Benoît XVI et la paix liturgique (Cerf, 2008).