Traditionis Custodes : « L’occasion d’un rapprochement en vérité et en charité avec les évêques »
Timothée Dhellemmes – Publié le 30/07/21
Sur le fond comme sur la forme, l’abbé Louis Le Morvan, prêtre du District de France de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), regrette les décisions annoncées par le pape François dans « Traditionis Custodes ». « Le choc a été violent, choc des décisions radicales annoncées et choc du ton employé », assure-t-il à Aleteia.
En décidant de restreindre fermement l’usage de la messe tridentine dans le motu proprio « Traditionis Custodes » , le pape François a suscité une forte incompréhension chez les prêtres et fidèles attachés à cette pratique. Dans la lettre accompagnant ce document, le pontife dénonce « une instrumentalisation » du Missel de 1962 et s’attriste du rejet de Vatican II par certains traditionalistes. « Il existe un lien étroit entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques antérieurs au Concile Vatican II et le rejet de l’Église », constate-t-il.
Une affirmation que l’abbé Louis Le Morvan, prêtre et membre de la maison du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), réfute résolument : « La situation ecclésiale angoissante et inquiétante que notre Pape décrit comme motif de sa décision nous est absolument inconnue ». Il regrette auprès d’Aleteia « de voir punie toute une classe, parce ce que certains de ses élèves sont insolents et désobéissants ».
Aleteia : Comment avez-vous reçu la publication du motu proprio « Traditionis Custodes » ?
Abbé Louis Le Morvan : C’est un document de notre Pape, chef visible du Christ et mon Supérieur comme il l’est de tout prêtre. Pour ma part, j’ai commencé sa lecture avec une certaine appréhension, et je vous avoue que le choc a été violent, choc des décisions radicales annoncées et choc du ton employé. À ce moment-là, il est nécessaire de se tourner sans attendre vers le bon Dieu et saint Pierre dans la prière… Le Saint-Père expose dans une lettre d’accompagnement les raisons pour lesquelles il a jugé en conscience qu’il devait agir. La situation ecclésiale angoissante et inquiétante que notre Pape décrit comme motif de sa décision (une attitude de rejet de l’Église et de ses institutions) nous est absolument inconnue, et j’ai donc eu l’impression sidérante de voir punie toute une classe parce ce que certains de ses élèves sont insolents et désobéissants.
Vous attendiez-vous à ce « tour de vis » du pape François ?
Nous savions par des rumeurs que ce document était en préparation, que des membres importants de la Curie, conformément à leur mission d’assistance et de conseil du Pape pour le gouvernement de l’Église Universelle, défendaient des positions très diverses. Mais il s’agit finalement plus d’un coup de marteau que d’un tour de vis. C’est un texte disciplinaire et non dogmatique, qui veut donc répondre à une situation donnée et par-là même temporaire, mais ce qui est encore plus douloureux c’est le ton employé par le pape François qui nous invite à la miséricorde, à la construction de ponts et non de murs en tant de domaines, et qui demande à son clergé d’éviter ce piège qu’il appelle le cléricalisme.
Comment le vivent les fidèles attachés au rite tridentin ?
Je pense qu’ils sont inquiets, meurtris, et fortement sur la défensive… N’oublions pas que nous vivons tous dans une société moins sensible à l’argument d’autorité qu’autrefois, d’autant plus qu’elle est fatiguée par les errements d’autorités religieuses ou civiles qui ne cessent de revenir sur ce qui avait été indiqué autrefois comme bon. Cela fait que tous ceux qui sont amenés à exercer l’autorité doivent, bien plus qu’autrefois, exposer leur raisonnement en même temps que leur décision.
D’ailleurs, le pape François a jugé utile d’expliquer ce motu proprio dans une lettre, mais le raisonnement convainc peu puisque de notre côté les hypothèses ne nous semblent pas fondées. Donc il en ressort la désagréable impression d’être tous punis sans distinction de culpabilité, avec une perte de stabilité canonique (un retour en arrière de trente ans) et cela risque d’engendrer ce qui se passe souvent dans ces cas-là : des réactions épidermiques et des ruptures, et une atténuation de l’amour filial que nous devons au Saint-Père. Bref, le contraire, je pense, de l’unité dans la Foi et la Charité qui est le mandat confié au vicaire du Christ.
Notons d’ailleurs que la lettre d’accompagnement du Pape concerne également la célébration de la messe selon le missel de Paul VI, où il évoque des « abus liturgiques à la limite du supportable » et autres fantaisies. Nous espérons que la même attention sera apportée pour y remédier.
Pensez-vous que ce motu proprio programme à terme la fin de l’utilisation du missel de saint Jean XXIII ?
Le Saint-Père estime que les fidèles catholiques « enracinés » dans le missel antique ont simplement besoin de temps pour « revenir » au missel de 1970. Personnellement, je pense que cela n’est pas réaliste. Au contraire, les dernières années ont montré que les racines dont il parle sont profondes et nourrissantes pour l’âme des fidèles qui vivent du Christ par la forme extraordinaire, ils ne sont pas près d’y renoncer. Et si l’on aborde la question juste d’un point de vue statistique, ces authentiques chrétiens conservent généralement bien leur pratique religieuse durant leur vie, la transmettent aux générations suivantes et sont des apôtres de Jésus, ce qui explique le fort développement tant de communautés sacerdotales et religieuses que du simple nombre de fidèles laïcs, anciens enfants biberonnés à la forme extraordinaire ou adultes provenant de la forme ordinaire.
Le Pape s’attend visiblement à ce qu’à terme, l’usage du missel ancien s’éteigne. Je ne pense pas que cela se produira. Notons d’ailleurs qu’il ne l’interdit pas plus que ses quatre prédécesseurs et rappelle même qu’il n’a jamais été abrogé. Notre droit de l’utiliser demeure, mais la possibilité d’en faire profiter le peuple de Dieu se complique humainement.
On reproche à certains prêtres et fidèles attachés à la messe tridentine de rejeter le concile Vatican II, est-ce une critique juste ?
En effet, cela existe et cela s’explique humainement, car il y aura toujours des gens pour répondre par l’outrance à une outrance opposée. Or, le concile Vatican II est dévalorisé depuis des années par certains qui l’instrumentalisent en prétextant être inspirés de « l’esprit du Concile » pour faire et enseigner tout et n’importe quoi. Si l’on s’en tient simplement à l’exemple de la liturgie, vos lecteurs peuvent aller lire en ligne la constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium de Vatican II pour voir la différence avec ce qui est pratiqué dans bien des églises de France et d’ailleurs.
Beaucoup d’améliorations étaient promises à l’issue du Concile. Force est de constater que la situation n’est pas si magnifique. Les églises se vident, on ordonne chaque année en France moins de 100 prêtres diocésains pour 800 rappelés à Dieu, la moyenne d’âge du clergé approche des 75 ans et le nombre d’enfants catéchisés, fidèles et prêtres de demain, est devenu insignifiant. Donc certes il n’est pas interdit de se remettre en cause, mais oui, effectivement, il existe des outrances dans la critique du Concile Vatican II, en revanche elles ne sont pas représentatives des prêtres et fidèles attachés à la messe tridentine.
Loin des débats liturgiques qui ont succédé au concile, comment les jeunes générations réagissent ?
Les jeunes catholiques sont tout à la fois ou tour à tour surpris, amers, confiants en Dieu et
combattifs. Surpris, car ce sont des jeunes qui ont grandi dans une Église pacifiée par le régime de bienveillance précédent et qui voient là avec étonnement la propension humaine à relancer des querelles éteintes. Amers, car les jeunes générations sont plus fragiles, dans un monde plus opposé que jamais à l’Évangile, elles recherchent toujours plus le sacré, la transcendance et l’adoration que l’ancien rite favorise. Confiants en Dieu, car elles savent que c’est à l’Église du Christ de nous donner les moyens du salut et non à nous de sauver l’Église. Mais nous savons que l’Église, en crise, doit être réformée. Or, l’Histoire montre que les vraies réformes de l’Église ont toujours été des œuvres exigeantes et de longue haleine. Si l’on veut participer à cette œuvre de réforme de l’Église, commençons par travailler avec plus d’ardeur à notre propre sanctification et efforçons-nous de devenir de meilleurs apôtres de Jésus.
Comment qualifieriez-vous la relation que la FSSP entretient avec les évêques, dans la majorité des diocèses dans lesquels vous êtes présents ?
C’est une relation hiérarchique et filiale, car l’évêque est le Pasteur et le Père de ses fidèles, laïcs et prêtres auxquels il donne la mission ecclésiale. C’est aussi une relation humaine, donc il y a une très grande diversité de relations de mes confères avec leur évêque, leurs confrères du presbyterium diocésain, les diacres permanents et les laïcs en mission ecclésiale. Comme le dit l’Écriture, c’est à l’amour que nous avons les uns pour les autres, dans la diversité de l’Église Universelle (qui n’est pas uniforme), que l’on reconnaitra que nous sommes les disciples du Christ. Notons par ailleurs que l’Église particulière qu’est chaque diocèse se doit d’être accueillante pour tout homme ! C’est bien de chanter des odes à la différence, mais c’est trop facile de demander aux gens différents d’être différemment différents !
Suite à la publication de « Traditionis Custodes », plusieurs évêques, en particulier les plus concernés par la pratique de la messe tridentine dans leur diocèse, vous ont très clairement renouvelé leur confiance. Comment envisagez-vous l’avenir ?
Nous l’envisageons dans la fidélité à l’Église, l’unique Église du Christ dont nous sommes des membres imparfaits et pécheurs. J’espère que le motu proprio sera l’occasion d’un rapprochement en vérité et en charité avec les évêques. Nos prêtres et futurs prêtres (nous n’avons jamais eu autant de séminaristes qu’actuellement) ne manqueront pas de travail, les communautés de fidèles qui nous ont été confiées sont chaque année plus fournies. Par ailleurs, si le pape François ne veut pas que se constituent de nouveaux groupes, ce qui je pense ne durera qu’un temps, il demande expressément que le prêtre chargé par l’évêque de la célébration de la messe ancienne offre également un réel soin pastoral des fidèles.
Dans le contexte de raréfaction des prêtres diocésains, il est à prévoir que nos instituts continueront à être appelés à prendre le relais de certains d’entre eux, comme c’est le cas
depuis plus de trente ans. Nous n’inventons pas des communautés, nous venons servir des vrais gens qui existent. Je reprends pour finir les mots du communiqué officiel de notre Maison Générale, le 20 juillet : « Dans le contexte actuel, nous tenons à réaffirmer d’une part notre fidélité indéfectible au successeur de Pierre, et d’autre part notre volonté de rester fidèles à nos Constitutions et à notre charisme, en continuant à servir les fidèles comme nous l’avons fait depuis notre fondation. Nous espérons pouvoir compter sur la compréhension des évêques dont nous avons toujours respecté l’autorité, et vis-à-vis desquels nous avons toujours agi avec loyauté. Confiant en l’intercession de Notre-Dame et de notre saint Patron, saint Pierre, nous voulons vivre cette épreuve dans la foi et la fidélité. »