L’injonction vient du Seigneur lui-même, demandant à ses Apôtres de « prier sans cesse et de ne jamais se lasser » (Lc 8,1). Pourquoi une telle importance donnée à la prière ? Pour quelle raison le Sauveur la recommande-t-il avec tant d’insistance ? Parce que la prière est la réponse de l’homme à Dieu qui s’est révélé, à Dieu qui est venu à sa rencontre. Un des plus grands bienfaits de l’Incarnation rédemptrice est cette relation privilégiée établie désormais entre l’homme et Dieu, entre la créature et le Créateur. Par le baptême, une vraie communication est instituée entre l’homme et Dieu, une communication personnelle, au point que le Christ demande à ses Apôtres – décision inouïe – d’appeler Dieu « Notre Père ». Depuis l’Incarnation, depuis ce moment du temps où le Fils de Dieu s’est inséré dans la famille humaine, l’homme est appelé, par grâce, à entrer dans la famille trinitaire. Or ce privilège unique demande à être entretenu et développé dans la prière, à travers un échange régulier avec Notre-Père, par Jésus-Christ Notre Seigneur. Néanmoins, si la grâce du baptême a fait de nous des fils d’adoption, seul Jésus-Christ est fils de Dieu par nature. Aussi la plus haute, la plus grande prière est-elle celle du Verbe Incarné à laquelle peuvent s’agréger « tous ceux qui ont reçu le pouvoir de devenir Enfants de Dieu » (Jn 1,12), c’est la prière liturgique. Mais l’âme chrétienne est appelée à prolonger cette élévation de l’âme vers Dieu par le biais de sa prière personnelle, c’est-à-dire par son dialogue régulier avec le Christ Ressuscité « qui intercède pour nous auprès du Père » (Rm 8,34). Ainsi, la prière chrétienne ressortit aux relations familiales ou amicales : elle consiste à entretenir et à développer un lien d’affection par une fréquentation régulière de l’être aimé. « Souvent un long silence a détruit l’amitié » écrit Aristote (Ethique à Nicomaque, Livre VIII), or cela vaut aussi pour notre relation avec Dieu : sans prière, nos liens d’amitié avec Dieu s’étiolent, deviennent factices et finissent par se rompre. Par la prière, en revanche, nous nous rapprochons de Dieu, nous cultivons et développons notre intimité avec Jésus-Christ, « ami de notre âme » (saint Claude de la Colombière). Certes la prière revêt différentes tonalités, inspirées par la grande supplication des psaumes qui constituent la trame de l’Office divin : louange, action de grâce, repentir, demande. Pour autant, de façon ultime, la prière ne tend que vers une seule et même fin : trouver Dieu. Oui, Dieu s’est révélé, cependant, pour nous autres, le mystère de son être demeure insondable. Et c’est la prière qui, petit à petit, au fil du temps, nous fait pénétrer plus avant dans le mystère de son être. Nous ne pourrons jamais comprendre Dieu, mais nous pouvons toujours mieux le connaître. Or, connaissance et amour ont partie liée. C’est pour cet unique motif – trouver Dieu – que les contemplatifs ont quitté le monde et fait de la prière une profession. Ils ont abandonné la compagnie des hommes pour trouver celle de Dieu, ils se sont consacrés à Dieu pour mieux le connaître et, partant, mieux l’aimer. Mais ce que les religieux poursuivent par l’offrande de toute leur vie, nous devons le rechercher par l’offrande régulière de notre temps. Car la prière demande du temps, exige de s’arrêter pour offrir de notre temps à Dieu. Ne pas accepter cette loi de la vie spirituelle, c’est se condamner à en rester à une amitié superficielle avec Celui qui nous invite à une relation personnelle. Il n’est pas possible de chercher, durant toute sa vie, à « caser » son temps de prière. Non, celle-ci mérite une vraie place dans nos journées, ajustée certainement à notre état de vie, à nos exigences professionnelles, à notre famille, mais enfin il est impératif que nos échanges avec le Sauveur soient bien établis, bien définis. Le pape Pie XII, en son temps, parlait de « l’hérésie de l’action », rappelant que la prière n’était pas un luxe ou un passe-temps mais une nécessité pour toute âme chrétienne. Que l’exemple et la lecture d’un grand maître spirituel, saint Ignace de Loyola, que nous mettons à l’honneur dans ce numéro, nous encourage à donner du temps à Dieu pour nous approcher de lui, à l’image de Moïse sur le mont Horeb : la prière est un lieu sacré, la terre sainte où Dieu réside.
Abbé Benoît Paul-Joseph
Supérieur du District de France