A plusieurs reprises, alors que les Apôtres se tournent vers Jésus pour lui demander son aide, ce dernier leur reproche de manquer de foi. Ainsi lors de l’épisode de la tempête apaisée (Mc 4, 35-41), ou bien lorsque saint Pierre s’enfonce dans les flots après avoir cherché à rejoindre le Seigneur (Mt 14, 30-31) : Jésus, en même temps qu’il exauce leur demande, déplore la fragilité de leur foi. Commentant le passage de la tempête sur le lac de Tibériade, le Cardinal Journet s’écrie : Je pense que les Apôtres, quand la tempête venait et que la barque commençait à couler, auraient dû couler avec Jésus jusqu’au fond ! Il serait arrivé certainement quelque chose de merveilleux ! Et il est vrai que la remarque de Jésus a de quoi surprendre : que pouvaient faire les Apôtres sinon se tourner vers leur Maître ? N’était-ce pas déjà un acte de foi ? Supplie-t-on un homme, notre semblable, de venir nous sauver quand on se sent menacé par les éléments déchaînés ? Seulement voilà, le Seigneur ne leur dit pas qu’ils n’ont pas la foi, mais qu’ils manquent de foi. Et c’est très différent. Cela nous rappelle que la foi est une vertu vivante, susceptible de croître ou de faiblir, de s’affermir ou de disparaître. Il ne s’agit pas simplement « d’avoir la foi » ou de « ne pas avoir la foi », selon l’expression courante. Cela est réducteur et souvent assez éloigné de la réalité. On peut très bien « avoir la foi », mais une foi en mauvaise santé, par manque de soin ou par négligence, comme on peut ne pas avoir encore reçu, par voie sacramentelle, la vertu de foi, et pourtant déjà croire aux vérités que Dieu nous a révélées. Qu’est-ce que la foi ? La foi est une vertu qui, greffée sur notre intelligence, nous permet d’adhérer aux vérités que Dieu nous a enseignées, mais qui nous dépassent. C’est donc une lumière supérieure qui nous met en contact avec la vérité divine. Certes, en raison de l’obscurité que suscitent – de notre côté – les grands mystères de notre religion, la grâce de Dieu est nécessaire pour que notre volonté ose faire « le pas de la foi », c’est-à-dire pour qu’elle enjoigne à notre intelligence d’adhérer à des vérités qui excèdent ses limites et qu’elle ne peut parfaitement comprendre. Le grand dominicain Garrigou-Lagrange disait que la foi est comme une faculté d’audition surnaturelle, comme un sens musical supérieur, qui nous permet d’entendre les harmonies spirituelles du Royaume des cieux, qui nous permet d’entendre en quelque sorte la voix de Dieu avant que nous soyons admis à le voir face à face.
Mais, pour grande qu’elle soit, la vertu de foi n’est pas reçue une fois pour toutes, elle n’est pas déposée dans notre âme pour toujours. Il nous revient de la protéger, de l’entretenir et de travailler à la faire grandir. L’exemple des Apôtres est en cela éloquent : la foi est bien présente en leur âme, mais elle est faible, fragile, vulnérable. Et c’est cela que le Seigneur leur reproche, de la même façon qu’il admire la ténacité de la foi de la Cananéenne : « O femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! » (Mt 15, 28), ou la solidité de celle du centurion : Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël « ( Mt 8,10). Nous sommes donc responsables de notre vertu de foi comme d’un trésor précieux. Aussi, dans notre monde marqué par l’athéisme et l’indifférentisme, est-il absolument nécessaire que nous prenions des moyens pour protéger cette grande vertu théologale des agressions qu’elle subit régulièrement. Sans cela, il est presqu’inévitable que notre foi en Jésus-Christ Sauveur s’étiole et, sans tout à fait disparaître, reste une réalité rabougrie, sous-développée.
Quels sont ces moyens ? Ce sont ceux que l’Eglise nous donne depuis deux-mille ans : les sacrements (et la nécessaire préparation à leur réception), la prière (avec l’acceptation de lui accorder une vraie place dans notre vie), l’exercice de la charité à l’égard du prochain (la charité fraternelle nous fait imiter notre Sauveur), enfin la formation chrétienne (car, étant reçue dans l’intelligence, la vertu de foi réclame une certaine connaissance des vérités crues). Loin d’être superfétatoires, ces moyens sont indispensables pour que notre vertu de foi, non seulement ne s’essouffle pas mais grandisse et se fortifie en dépit du climat hostile dans lequel nous vivons.
Daigne « Celle qui a cru » (Lc 1,45), la bienheureuse Mère de Dieu, nous accompagner sur les sentiers lumineux et obscurs de la foi, pour que nous parvenions un jour à la pleine Vision.
Abbé Benoît Paul-Joseph
Supérieur du District de France